mercredi 20 avril 2011

Thé citron.

Je participe régulièrement au blog 1001 mains qui sert de plateforme d'échange pour écrire. Peu contraignant, intéressant, c'est plutôt cool. En gros, régulièrement, un nouveau jeu est publié avec une simple photo, et vous écrivez ce qu'elle vous inspire. Avec la plus grande des libertés. (Je dois participer au jeu en cours dans la semaine, d'ailleurs, le N°6)
 Exemple, c'était le jeu N°4, avec ma participation en dessous. :




Du thé citron... Quelle horreur.

Dégueulasse. L'amertume dégagé par ce thé rendit finalement cette journée détestable.
En tout point détestable.

Sur la table gisait ce stylo, et le notaire, en face, qui parlait, parlait, parlait. Il ne l'écoutait même plus. Le soleil illuminait l'oranger. De toutes ses branches, il s'étendait au-dessus de la pelouse sèche et, d'un vert vif et généreux, dispensait l'ombre à qui en demandait, dans le somptueux jardin. Richard soupira. Il l'avait grimpé tant de fois, cet oranger, étant enfant...

Combien cette maison avait-elle connu de repas familiaux ? Combien de fois les rires s'étaient-ils répandus le long des murs lézardés de cette vieille baraque en brique rose ? Assailli par ses souvenirs, Richard failli soudainement fondre en larme. Un profond rictus traversa son visage, qu'il s'efforça vite d'effacer.

Bon dieu; quel contraste ! Le soleil, le gazouillement des oiseaux, le calme d'un après-midi dans le Sud de la France, et ce notaire, ce contrat de vente. Et ce stylo gris. Ce stylo gris, qui était le symbole de la rupture. L'outil servant à briser définitivement le futur de la famille dans cette maison, ne la réduisant qu'en vague souvenir, qu'en nostalgie. L'amertume, tout ce qui restera de tout ça.

Comme ce foutu thé. Amer et dégueulasse...

Sa fille le rappela à la réalité :
- "Papa, tu crois qu'on pourra quand même revenir de temps en temps ? Ne serait-ce que pour la voir ?" 

Il s'attarda quelques secondes sur ses yeux emplis de larmes. L'espace d'un instant, il fut sur le point de se lever, et d'envoyer valser cette table, ce thé, et ce stylo sur ce foutu notaire ! Il se voyait déjà, hurlant, vociférant sur ce dernier, tel un éclair incontrôlable :
- "Ne voyez-vous pas que ce monde est horrible? Qui, bon dieu, qui pourrait obliger quelqu'un à vendre sa maison pour le système?! Qui oserait une chose pareille? Ils ont travaillé quarante ans, ils ont rendu service à la société, Monsieur, des gens humbles! Qui oserait une chose pareille? Quiconque aurait un coeur, quiconque serait un peu humain se sentirait révolté par une telle injustice !"

Puis, il le rouerait de coups. Il dégagerait toute sa haine, toute sa rage contre la société, contre cet état, contre ces gens. Les coups, secs et forts, rythmeraient sa vengeance contre ces enfoirés. Et les cris, les cris de cette enflure seraient un si bel hymne !

- "Monsieur, vous verrez, l'établissement du duc de l'orge est un très bel établissement. Votre mère y sera bien, elle sera soignée, bien traitée, elle vivra bien... C'est le meilleur choix."
Il lança un regard abasourdi. Certes, l'établissement était de qualité, mais il le savait, bon dieu, il le savait! Sa mère avait 15000 euros d'économie, gagnés à la sueur du front, en ayant toujours aidé et été présente, et voilà qu'en sept mois (passés comme dix jours) elle n'avait plus rien... 2140 euros le mois, pour cette maison de retraite ! Pour qu'elle vive !

Le frère de Richard, lui, n'avait pas eu cette chance. Il avait mal supporté la mort de son père, il avait enchainé antidépresseurs, alcool. Il avait pété les plombs, il était devenu fou, et ne pouvant payer une bonne maison de retraite,  il avait "choisi" un mouroir. Quatre mois, en fauteuil roulant, à bouffer à 17h30, à attendre avec les autres qu'on daigne s'occuper d'eux. Rien d'autre. Il avait tenu quatre mois, à soixante-cinq ans. Fini. Over. Fermez les rideaux, merci pour votre patience, la pièce est terminée faute de moyens.

Sa mère ne finirait pas comme ça. La maison valait des cents et des mille. La maison, l'oranger, l'ombre, les souvenirs. Cette merveilleuse maison, ces odeurs, ce thé à la menthe du jardin que Maman adorait. Ces prunes si juteuses, les après-midi de jeu avec son père, à rire, à se disputer, à vivre à pleines dents. Sa mère faisant des tartes dans la cuisine. Les souvenirs auraient-ils bientôt une valeur monétaire, cotée en bourse?

Choisir entre la maison et sa mère? Il le ferait.

Il sentit une larme perler sur sa joue. Il parait qu'un homme ne pleure pas, mais il n'était plus un homme. Il était un pantin. Un pantin malgré lui. Il s'empara du stylo. Sa main tremblait, une deuxième larme perlait. Il baissa la tête, déglutit, puis approcha le stylo de la feuille. Il explosa en sanglot, signa comme il put. Il renversa volontairement le thé , se leva, prit sa fille par la main, et sortit du jardin.

Plus jamais il ne reviendrait ici. Plus jamais.

A travers l'oranger, sous un soleil de plomb, on vit la voiture partir le long du chemin en terre. Le notaire, satisfait de l'opération, rangea ses affaires, prit le contrat, puis quitta lui aussi les lieux. Le calme revint enfin. Dans le jardin, il ne restait que la tasse renversée sur l'herbe sèche,  sous l'oranger, en impassible maître des lieux...et cette odeur de menthe, si agréable, et si révélatrice.

"C'est si bon, le thé à la menthe maison, bien fait."

1 commentaire:

  1. C'est horrible.

    C'est un très beau texte, nu, comme je ne saurais en écrire (et qui pourtant me rappelle quelque chose).

    Et puis la valse...
    Je n'écris pas sans donner un peu de musique.

    Sans doute une des meilleures participations au "jeu". Mais ici, est-ce un jeu ?

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